par Jacqueline Riquez
(We will feature the English translation of this story in the next post in 2 weeks).
La première fois que je me suis retrouvée dans une Tente Rouge, c’était comme recevoir une décharge électrique : très puissant et difficile à ignorer! Et en même temps il y avait quelque chose de si évident, si frappant, dans cette expérience, que j’avais la conviction intime d’avoir contacté quelque chose qui remontait à l’Origine, bien avant la connaissance. J’avais déjà eu ce sentiment-là, en portant de l’eau d’un puits avec une autre femme, un flash intense de mémoire atavique, le plus profond sentiment de déjà-vu imaginable. Ce soir-là, sous la lumière tamisée de la Tente Rouge, j’ai entendu des femmes livrant les vérités les plus puissantes, qui résonnaient au plus profond de mon âme. Elles évoquaient le sang des lunes et les mots semblaient ouvrir un barrage en moi… Je suis partie cette nuit-là l’esprit dynamisé et bien que je sois rentrée à minuit passé, il se passades heures avant que le sommeil ne m’emporte. ‘Je dois fabriquer ma propre Tente Rouge, c’est ce que je dois faire.’ C’était comme un appel au clairon : très puissant et difficile à ignorer!
Je devrais expliquer que la Tente Rouge à laquelle j’ai assisté ici en France se passait littéralement dans une tente, même si celle-là était plutôt basique. Pour ma propre tente, j’ai emprunté la même conception et puis je me suis laissée aller dans la fantaisie : n’imaginez pas une tente pour le camping, mais plutôt une tente somptueuse de nomades, remplie de coussins, de couvertures, de bougies, de soies drapées et un air de décadence, comme si un sérail de femmes magnifiques allaient débarquer – et c’est le cas! Elle fait 3 mètres sur 3, un mètre de haut sur les côtés et 1,40m au centre et même si c’est une tente, elle reste à l’intérieur. On tient à 11 personnes dedans pour rester confortable. J’ai commencé à la fabriquer dans les jours qui suivirent cette toute première Tente Rouge. J’ai cousu et j’ai cousu encore, presque un kilomètre de fil rouge. Ma petite apprenait tout juste à rouler sur le côté et je la posais par terre à un bout de la pièce, puis je courais à ma machine à l’autre bout et là, je cousais comme une Furie, en regardant par-dessus mon épaule tandis qu’elle roulait en rigolant vers moi. Dés qu’elle arrivait, je la ramenais à l’autre bout du salon et on recommençait. Ma première tente s’est cousue pendant que ma fille était à mes trousses. Ma deuxième Tente, encore plus belle, a eu son inauguration il y a une semaine. Je suis tombée amoureuse d’un tissu trouvé à Notre Dame des Sans-Abri et je savais qu’il était destiné à ma Tente Rouge. Chaque tissu était chiné dans des vide-greniers, à Notre-Dame ou à Emmaüs et je me réjouis de savoir que toutes ces étoffes ont déjà voyagé et vécu d’autres vies.
Il y a quelque chose dans cet espace chaleureux et sacré qui invite l’intimité. Les femmes disent souvent, avec la conviction d’initiées, que c’est comme si elles se retrouvaient dans un utérus. Les langues se délient, les défenses se relâchent et nous pouvons toutes déposer nos fardeaux. En général, je n’aime pas être dans des espaces confinés et d’autres femmes qui sont venues sous la Tente avaient la même difficulté. Or il y a quelque chose dans cet espace matriciel d’un rouge profond qui refuse toute comparaison claustrophobe : on se sent contenu mais pas confiné, sécurisé mais pas suffoqué. Je commence en rappelant à toutes que ce qui se dit sous la Tente, reste sous la Tente. Je les invite à partager brièvement ce avec quoi elles viennent : personne n’est obligé de parler mais par respect pour l’énergie du groupe chacune est invitée à dire où elle en est – ‘ça ne va pas très fort pour moi aujourd’hui et je ne sais pas si je vais parler beaucoup’ – cela peut s’entendre. On convient d’une heure de fin ensemble et puis c’est parti : c’est rare que je doive lancer la discussion ou empêcher quelqu’un de trop parler. Il n’y a pas besoin de bâton de parole. Je facilite si besoin mais je ne dirige pas, bien que je serve du thé, des gâteaux faits-maison et un stock essentiel de chocolat. La parole coule : des fois nous parlons de nos lunes, de l’accouchement, de sexe : ce qui vient est juste. A la fin, nous faisons passer un ruban rouge autour de nos poignets pour nous rappeler notre lien sacré. Alors que je tape ce texte, il reste encore à mon poignet des rubans des Tentes de ces derniers mois : je suis encore reliée aux 20 autres femmes par ce satin rouge.
Je propose des Tentes Rouges toutes les trois semaines, afin de visiter toutes les phases de la Lune au bout de quatre séances. Cela me paraît plus ‘démocratique’ vu que nous n’avons plus nos Lunes toutes ensemble. L’énergie qui découle de ces différentes phases est parfois tangible : à la Pleine Lune, nous sommes souvent assez fébriles, excitées, canalisant des énergies assez sexuelles, nous rions jusqu’aux larmes ; à la Nouvelle Lune nous sommes plus calmes, plus pensives, la face cachée de nos propres natures émerge. Si je contribue à quelque chose, c’est d’encourager les femmes à prendre conscience de leurs propres « saisons » et de les relier à celles de la Lune, mais aussi aux saisons de l’année solaire ainsi que celles de leurs vies de femme. J’ai pu ressentir cette incroyable connexion avec les cycles de la vie très récemment : j’étais dans l’automne de mon cycle (pré-menstruelle), la Lune était décroissante et à la fin de son cycle, les feuilles flamboyaient aux arbres environnants, et à 42 ans, je me sens à l’automne de ma vie de femme – j’ai fini de faire des bébés mais je vis toute la plénitude de cette période. Voici ce que je ressens si fortement dans ma vie quand ces quatre éléments sont alignés ainsi : le sentiment profond d’être où je dois être.
Je remplis les thermos d’eau chaude pour les innombrables tasses de thé et de tisane que nous boirons ensemble, je brûle de la sauge et du Palo Santo, je prépare les bougies, je redonne leur forme aux coussins une dernière fois… Je respire profondément et je murmure ma prière : « Au feu par-dessus et à la terre par-dessous, à l’air qui nous entoure et la rivière qui coule en nous, à notre Père le Ciel et notre Mère la Terre, à la lumière fraîche de Notre-Dame la Lune et la caresse chaude du soleil, aux liens affectifs qui me contiennent, à tout ce dont je fais partie et à tout ce qui fait partie de moi : je me présente à vous et vous invoque. Nous sommes tous un seul être. » Maintenant je suis prête. Je me lève et j’invite les femmes qui attendent dans l’autre pièce à me rejoindre sous les jupes soyeuses de la Tente Rouge. Nous sommes où nous devons être.
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